t’es nulle en repassage
Ah, vous ne pouvez pas imaginer le bien que cela fait ! Un super compliment de mon fils de presque 21 ans ! c’était ma vraie fête hier.
Je vous raconte tout : pendant que mon « j’ai-6-ans » déballe son violon pour et son archet, mon « laisse-moi- me-concentrer-pour-les-concours » déballe le fer à repasser et ses chemises. Comme je ne le vois pas souvent, mon 21, et donc que son petit frère ne le voit pas souvent non plus, et que je veux créer du lien entre eux, pour faire famille qui sert à quelque chose, et qu’il est tout de même bien doué en musique, mon 21, je lui propose le deal suivant, qu’il accepte :
« si tu veux, je repasse tes chemises, et tu fais le violon avec ton frère ».
D’ici, je vous entends hurler ! «
- (indignés ) QUOI ! toi, qui nous dis ne jamais repasser, de jamais repasser pour les autres, ni pour ton mari ni pour personne, ni même pour toi-même, qui se glorifie de venir au bureau avec des chemises non repassées exprès, comment ça, toi ! on découvre que tu as un fer à repasser – UN – et DEUX – que tu te proposes pour repasser les chemises d’autrui !! mais ca ne va pas la tête ! Ils sont où tes principes féministes ??
- (dans mes petits souliers) bon, laissez-moi vous expliquer : c’est vrai, j’avais hier un fer à repasser…il normalement chez mon 21…mais comme il avait des travaux dans sa studette… il a fallu débarasser, etc….
- (totalement désabusés, voire tristes) elle est nulle ton explication
- (enjouée) bon, laissez-moi finir : vous allez voir que j’ai fait d’une pierre deux coups. »
Tout d’abord, laissez-moi vous raconter que faire faire du violon a mon « j’ai-6-ans », ce n’est pas tous les jours de la tarte. Parce que déjà, c’est tous les jours (sinon, pas même la peine de faire de la musique dixit tous les profs) et qu’il me semble avoir épuisé toutes les combines, les carottes, les bâtons, les récompenses, les menaces, les points, les histoires, les jeux, les mises en situation, le choix du moment, la bain avant, le bain après, le chronométrage, l’enregistrement sur tablettes, sur smartphone, le ‘c’est obligé’, la peur du gendarme, du qu-est-ce-que-dira-le-prof ,le marchandage de toute sorte, le mais-non-t’es-pas trop-fatigué, le « allez »*87 fois, le concert improvisé, le concert prévu, le concert à Mamie au téléphone, puis à Grand-papa, les promesses, les non-je-ne-m’enerve-pas, les soins du violon, les deals je-le-prépare-tu-le- ranges ou l’inverse, le choix de l’ordre des morceaux, le playmobile ok il regarde, ok il s’assoit sur le piano, ok avec R2D2… le coloriage de la partition, le coloriage du violon (sic ! oui oui, pardon maestro copie de Stradivarius)…
Donc pourquoi je m’acharne ? Parce que je reste persuadée que si on ne commence pas tôt ce qui est difficile comme le violon, on n’y arrive jamais : des contre-exemples m’ont montré cependant le contraire, depuis, mais je fais comme si je n’étais pas au courant, je fais la sourde oreille : les grands l’ont fait, donc pas de raison que les petits n’y aient pas droit. Il faut tout de même un peu de justice dans cette famille.
Mais surtout, la musique est pour moi la seule discipline PEDAGOGIQUE : si on travaille : ca marche, on voit les résultats, si on ne travaille pas : pas de résultats, on reste nul : et on s’en rend compte, même tout petit. Contrairement aux autres matières ( genre maths, physique, français, philosophie – je ne parle pas des matières genre coton, synthétique, ah ah ah lol : c’est la blague du film LOL justement), où il me semble que les efforts n’ont pas toujours rapport avec les résultats .
En maths et physique : c’est t’as compris/ t’as pas compris : plutôt binaire, digital diraient certains, seulement deux solutions. Mais est-ce que travailler va t’aider à comprendre ? pas sûr ! il y a des déclics qui se font. En tout cas, c’est toujours ce qui m’a semblé, surtout en apprenant que les pires théorèmes de maths inexplicables indémontrables sont inventés par des Indiens à peine scolarisés. En lecture : c’est la même chose : mon j’ai-6-ans voulait lire à 4 ans, mais il ne comprenait pas le B-A se lit BA . Il ne l’a compris qu’à 6 ans : donc pendant 2 ans, on a lu (enfin, j’ai lu) une page de livre de lecture sans aucun résultat à la fin… En philosophie : il me semble que c’est tout l’inverse, plus on travaille, moins on a de résultats : j’ai travaillé comme une malade en terminale pour obtenir un beau 7/20 au bac. C’est d’ailleurs mon angoisse profonde des classes prépa littéraire ! J’ai l’impression que le travail n’est pas lié aux résultats, ou inversement.
Bref, tout ça pour dire que pour moi, il n’y a que la musique qui soit pédagogique.
« Et le sport » me dit mon mari. Le sport ?? alors là, pour moi c’est l‘inverse : plus j’en fais et plus je régresse : en gym : je suis de moins en mois souple ; en course : de moins en moins rapide ; en saut : c’est toujours moins haut et moins loin ; en j’attrape la balle : non celui-là, comme je n’ai jamais rien attrapé, je reste à performances équivalentes.
Vous devriez vous dire à ce moment : mais cet aspect qu’elle appelle « pédagogique » : je travaille donc j’ai des résultats : n’est-il pas révélateur du syndrome de la bonne élève ? Vous savez, ce qu’il y a dans tous les cours de développement personnel spécial nana : « ne croyez pas qu’en étant parfaite, en travaillant dur, vous obtiendrez promotion-augmentation !! Non, surtout pas ! ce qu’il faut c’est communiquer, cultiver votre réseau, vous montrer etc... » bref le truc déprimant au possible puisque justement on a passé plein de temps à bien travailler…
Ben oui, mais bon, tant pis, je reste avec mes valeurs : pour moi, le travail a une valeur : celui du progrès, des résultats, ce qui amène à l’état de « flow » où l’on se sent bien, la concentration, le plaisir d’y arriver : c’est tout ça que la musique nous apporte : et bien-sûr, la beauté !
Pendant que je repasse, j’écoute le grand musicien et le débutant : ensemble, c’est joli, beau, émouvant, un moment suspendu, un moment de bonheur. Ce n’est pas toujours parfait, au contraire, il faut reprendre, retravailler, recommencer de là, pour y arriver mieux, et ça marche, c’est mieux, sinon, on reprend encore, et ça y est, on y arrive, chouette ! Non seulement la musique est pédagogique, mais en plus, c’est beau !
Je suis super fière de moi, d’avoir insisté si longtemps pendant toute la jeunesse de mon 21 : de ne jamais avoir cédé, d’être passés ensemble d’un instrument à l’autre (le violon, le basson, le piano, le chant) au gré de ses envies, de ses profs, de ses dons, de ses découragements aussi, mais d’avoir toujours pu lui glisser la musique dans ses journées d’enfant. Aujourd’hui, il chante pour se détendre, me dit-il : c’est un super cadeau qu’il me fait: je suis fière d’avoir donné à mon fils de quoi ne pas s’ennuyer, de quoi passer son temps autre que sur twitter ou autre, de quoi s’émouvoir et émouvoir les autres.
Après ce moment de grâce, mon 21 regarde le tas de chemises repassées, perplexe : « mais, il y avait encore de l’eau dans le fer ? non ! ben ça ne m’étonne pas que ce ne soit pas bien repassé ! »
Vous avez lu ? non seulement, il veut me dire : « t’es nulle en repassage », mais il le dit sans haine, sans attaque directe, il m’explique comment j’aurai du faire. Seconde victoire : il pourrait faire un gentil chef !!
Et la troisième victoire, vous l’aurez compris…elle est silencieuse, car non dite, mais bien présente : c’est la plus grande victoire jamais acquise, c’est message non-dit
« t’es nulle en repassage ! »
et ça, c’est trop top ! c’est le plus beau compliment que j’ai jamais reçu ! c’était vraiment ma fête hier ! Ca veut dire que les femmes ne repassent pas mieux que les garçons ! CQFD